L’alimentation, tout comme le développement, s’est vu apposer l’adjectif durable pour désigner une nouvelle approche de l’alimentation. D’après l’ADEME, l'alimentation durable se définit comme l'ensemble des pratiques alimentaires qui visent à nourrir les femmes et les hommes en qualité et en quantité aujourd'hui et demain, dans le respect de l'environnement. Ce constat répond à des enjeux et constats inquiétants :
25% des émissions de gaz à effet de serre sont dûs à ce que nous mangeons
90% des stocks de poissons sont exploités à leur maximum ou surexploités
Sur 100 € dépensés pour l’alimentation, moins de 8,2 € vont aux agriculteurs.
21 millions de français sont en surpoids ou obèses (soit 1 adulte sur deux)
Le concept de l’alimentation durable peut-il être adapté aux territoires d’Outre-mer ?
Si de nombreuses actions sont aujourd’hui menées en France Métropolitaine pour répondre à ces enjeux - et notamment avec les lois Egalim, Economie circulaire, Climat, les actions d’information du consommateur (Nutri-Score, Eco-Score), et les actions d’entreprises alimentaires et d’associations engagées- , la question de la transposition de ces enjeux dans les Départements ou Régions français d'Outre Mer et collectivités d’Outre-mer (DROM-COM) n'est pas si évidente.
Regroupant 2,7 millions d'habitants, les DROM-COM sont géographiquement éloignés du continent européen et présentent des particularités en termes de géographie, démographie, systèmes énergétiques, agricoles et de mobilité, entre autres.
Dès qu’il s’agit d’alimentation, les spécificités apparaissent encore plus présentes. En effet, de par leur éloignement de la métropole, leur insularité et leur ultra-spécialisation héritée du colonialisme, les Outre-mer dépendent beaucoup des importations alimentaires. Ainsi, La Réunion, la Guadeloupe et la Martinique produisent majoritairement de la canne à sucre et ses co-produits (sucre et rhum), la Martinique et dans une moindre mesure la Guadeloupe produisent beaucoup de banane et la Guyane des tubercules. Au total, c'est 34% de la surface agricole utile ultramarine qui est consacrée aux cultures d’exportation.
Concomitamment, à La Réunion par exemple, la production locale couvre 70% du marché en produits frais, mais seulement 40 % du marché global alimentaire. L’autonomie alimentaire des DROM-COM représente donc un enjeu majeur. La crise sanitaire de 2020 a d’ailleurs démontré les limites de la dépendance aux importations et l’importance de viser une plus grande autonomie alimentaire.
Quelles sont les difficultés spécifiques rencontrées par les DROM-COM autour de l’alimentation ?
L’évolution des habitudes de consommation et de production alimentaires est mondiale, mais les DROM-COM présentent également des évolutions spécifiques et des difficultés propres à leurs caractéristiques culturelles, économiques, historiques et géographiques.
En termes de santé, un certain nombre de produits alimentaires importés sont de faible qualité nutritionnelle. On peut notamment citer la teneur en sucre des boissons industrielles, qui est plus élevée qu’en métropole. Le taux de diabète est en moyenne plus élevé qu’en métropole (jusqu’à 10% de la population à la Réunion), ainsi que l'obésité et l’hypertension, des maladies en partie corrélées aux fortes inégalités sociales, loin de l’image de carte postale véhiculée par les médias.
D’un point de vue économique, le coût de l’alimentation est 32,9% plus élevé dans les DROM-COM : les importations, pouvant représenter jusqu’à 90% de l’offre disponible selon les territoires, y sont soumises à l’octroi de mer, qui finance les collectivités locales et n’incite pas à la réduction des importations. Certains territoires se sont spécialisés dans une production agricole destinée à l’exportation, au détriment de l’autonomie alimentaire. Le peu de concurrence sur place contribue également à un prix du panier moyen plus élevé qu’en métropole.
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Les habitudes de consommations locales sont également spécifiques, issues d’un mélange de traditions alimentaires créoles et de fort développement récent des produits industriels préparés, des fast-food et des boissons sucrées. Le poids culturel présente aussi des particularités, notamment vis-à-vis de la consommation de viande, considérée comme une nécessité dans l’alimentation, avec des paradoxes : l’alimentation traditionnelle créole, par exemple, était équilibrée grâce à l’apport des céréales, des féculents et des légumineuses avec une faible part dans l’assiette pour la viande.
D’un point de vue agricole, outre la spécialisation destinées aux exportations, on peut noter les pratiques agricoles spécifiques, le climat tropical, les circuits informels avec peu de traçabilité et une agriculture tributaire d’aléas climatiques comme les cyclones par exemple, qui peuvent être dévastateurs pour les récoltes.
Peut-on aboutir à une définition commune à tous les territoires ultra-marins ?
S’il est donc clair qu’une alimentation durable dans les DROM-COM doit être pensée de manière différenciée de celle de la métropole, il faut également éviter le piège d’une définition qui serait la même entre tous les territoires ultra-marins. Même s’il y a de nombreux points communs, certains aspects doivent être étudiés de manière locale, différenciant les territoires entre eux.
En voici quelques exemples :
La diversité des territoires, leur taille ou leur insularité, ainsi Mayotte ne présente pas les mêmes enjeux que la Guyane ou encore Saint-Pierre et Miquelon
L’histoire agricole, et les pratiques héritées, comme par exemple l’utilisation massive de la chlordécone en Guadeloupe et Martinique
Une obésité plus prégnante sur certains territoires comme la Guadeloupe et la Martinique
La répartition des surfaces agricoles très diversifiées (entre la Guyane, la Réunion et la Martinique par exemple)
Les assiettes alimentaires différentes, héritées de l’histoire de chaque territoire et des différents mélanges de populations venant d'ailleurs
En conclusion, la définition d'une alimentation durable spécifique aux DROM-COM est nécessaire, mais elle doit également être adaptée localement à chaque territoire.
Les trois grands défis de l’alimentation durable en Outre-mer
La nature et les usages en alimentation dans les DROM-COM présagent d’un fort potentiel de progression en termes d’autonomie alimentaire, de réduction de viande dans les assiettes et d’un approvisionnement en circuit-court, même s’il faut prendre en compte les dépendances très fortes qu’elles ont vis-à-vis des importations et de la métropole.
Le premier défi à relever est de réduire cette dépendance et d’augmenter l’autonomie alimentaire sur les territoires. Or, cette autonomie, au vu de la taille et de la nature des territoires, ne peut être atteinte sans repenser le contenu des assiettes. Ces territoires ont en ce sens un atout majeur, grâce à leur histoire culinaire, avec une gastronomie basée historiquement sur des produits majoritairement locaux. Un travail éducatif pour promouvoir les fruits, les légumes frais et secs et les féculents locaux serait à mener à toutes les échelles, de l’école jusqu’aux restaurants gastronomiques.
Le deuxième défi, en lien avec le premier, consiste à travailler sur l’éducation alimentaire et l’évolution des habitudes de consommation pour une alimentation plus saine et équilibrée, notamment dans le cadre de la lutte contre l’obésité et le diabète, et à mettre en lien avec une assiette décarbonée.
Le troisième défi concerne la production agricole, pour considérer dans son ensemble l’évolution des systèmes agri-alimentaires : orienter l’occupation des sols agricoles vers des productions destinées à l’alimentation locale, augmenter leur diversité, tout en étant climato-résilientes et promouvant des pratiques agro-écologiques.
Que ce soit en métropole ou en Outre-mer, et si les DROM-COM présentent des spécificités locales à appréhender pour une stratégie et des politiques de développement adéquats, des points communs se détachent quel que soit le territoire : repenser les contenus de nos assiettes et faire évoluer les pratiques agricoles vers l’agro-écologie. Et si on entend les défenseurs du système actuel assurer que changer les habitudes est impossible, il suffit de considérer la rapidité avec laquelle les habitudes alimentaires et agricoles ont évolué en quelques années avec l'industrialisation de l'alimentation. Forts de ce constat, il est possible et souhaitable d’aller vers de nouvelles habitudes, plus saines, plus équilibrées et préservant les sols, l’air et l’eau, sur des territoires déjà soumis plus intensément au changement climatique.
Aller plus loin / ressources
Vers une alimentation bas carbone, saine et abordable, ECO2 Initiative/WWF, 2017
Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’Outre-mer, IRD, 2020
Empreinte énergétique et carbone de l'alimentation en France, ADEME, 2019
Alimentation et environnement : champs d'actions pour les professionnels, ADEME
Commerce en Outre-mer : les écarts de prix, INC, 2019
Les conditions de la souveraineté alimentaire dans les Outre-mer, EWAG, 2020
Depuis 10 ans, ECO2 Initiative travaille sur les enjeux des DROM-COM.
Nous sommes présents sur l'Île de la Réunion et en Guadeloupe.
Contactez Jennifer Meyer, notre consultante à La Réunion
jennifer.meyer@eco2initiative.com / + 262 6 93 47 41 44
Contactez Marianne Petit, notre consultante en Guadeloupe
marianne.petit@eco2initiative.com / +33 6 34 99 69 06
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